Une Fleur d'Edelweiss
Le Méridien Editeur 1987

Il n'y a pas eu de scènes, il n'y a pas eu d'incidents ; mais brusquement, en moi, cette froideur de glace...
Je suis en bout de mire du fusil de mon père. Ma mère derrière moi crie. Je ne me rappelle plus quoi, mais elle crie.
Moi, je me suis interposé entre elle et le fusil, comme cela m'est venu. Seules les larmes me coulent.
Je fixe le bout du canon du fusil de mon père, je ne bouge pas ; je n'entends plus rien. Je vois simplement s'étendre devant moi une large étendue de glace. L'air froid et translucide. Je tremble. Ce pourrait être un pan glacé de Ceüze en hiver, bien avant le printemps, quand les feuilles des arbres ne pensent pas encore à bourgeonner.
L'air est froid. C'est tout. Plus aucun cri. Je fixe le bout du canon du fusil de mon père ; je suis seul.

Il faut absolument que quelqu'un vienne : mais qui ?
Un grand frère, mon Grand Frère, très fort, que les balles ne peuvent pas perforer, Lui ! Un Grand Frère venu d'un autre monde, d'un monde très chaud, qui m'envelopperait de son corps pour me protéger, de sa chaleur pour me réchauffer.
Il serrait grand, mince et fort ; ce pourrait être Hippolyte ! Il pourrait être noir et bouillonnant de chaleur, il aimerait le jazz et serait venu d'Amérique !

Je l'ai attendu, je l'ai perçu... Quelques secondes... toute une vie !
Il n'est jamais venu.
Il ne viendra pas.
Il ne viendra jamais.
Je le sais brusquement à cette glace qui m'envahit, n'importe où, avec des amis, même au milieu de ma rue.
Il aurait pu me réchauffer ou de son corps, ou de son coeur, ou de son sexe s'il avait voulu.
Enfin de ce qu'il aurait pu.
Mais personne ne me réchauffera jamais de chaleur-là car je suis trop glacé.
Je suis trop raidi par ce froid là, ou cette peur, et cela n'intéresse personne cette rigidité là.

* * *

Illustré par Hommage à J.Genet, acrylique sur papier41/55
(livre épuisé, ré-impression à l'étude, car livre très demandé)


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